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Maman, le rève d’une orpheline,

fonder une famille nombreuse

D 28 décembre 2008     H 19:12     A Annie Lesca     C 0 messages


MAJ-20140524

Almanach 1920
Tourisme de Vacances en Provinces Reconquises

Le 13 janvier 1920, la petite merveille, benjamine d’une famille qui porte le deuil de la maman, dont il ne nous reste qu’un superbe portrait d’une "grande, belle et jolie dame" comme disait ma petite soeur.

La petite dernière

une enfance de "rescapée" , dans une famille décimée par la polio, qui lui laissera de lourdes séquelles, un poumon en moins, le souvenir douloureux d’heures interminables de bains de sable pour remuscler ses jambes, et de lourdes prothèses l’empêchant de courir avec Michel, son frère bien-aimé.

le don des langues : elle accompagne son père régulièrement dans la tournée des métayers dont elle est la seule à parler la langue limousine ; les jours de classe, elle trotte à ses côtés, des kilomètres, par tous les temps, pour aller à l’école du village, mange seule au coin du poêle à midi et refait le chemin inverse le soir, sa petite main dans la main de son père : beaucoup de choses circuleront entre leurs doigts noués, l’éducateur n’est-il pas celui avec qui on parle en chemin, avant et après la "leçon" ?

De cette enfance paysanne, elle nous a transmis sa "main verte" et un répertoire de proverbes dont certains en langue régionale :
"Au jour de Noël
"Les jours croissent d’un pas de colonel,
"A Noël
"D’un pas d’hirondelle,
"Aux Rois, d’un pas d’oie d’un pè de hasan
"Et à la Chandeleur,
"d’une heure.

Une voix de soprano, elle était promise à une belle carrière de cantatrice. Comment ai-je pu omettre d’enregistrer son chant quand il emplissait l’église à l’occasion d’un mariage par exemple. Il me reste les frissons, l’extase, et l’illusion de l’entendre quand j’entonne à tue-tête (comme une casserole) "L’Amour est-un-enfant de Bohème". Il nous est également resté un répertoire par-coeur des opérettes d’Hoffman et d’Offenbach, et le savoir-lire une partition.

Toute une vie de deuils

- sa mère à la naissance, qu’elle n’a connu qu’en portrait, mais quel portrait !
- deux de ses soeurs aimantes, Patience et Marthe, qui l’ont entourée pendant ses premières années,
- à dix-sept ans sa deuxième maman, qui l’avait adoptée,
- à vingt ans son père, d’une occlusion intestinale non identifiée, douleur attachée aux troncs des chênes-lièges qu’on pelait sur la route des landes pendant son retour en urgence sur Bordeaux, et elle se retrouve orpheline :

Livret de famille de Montlibert Boulière

- l’année suivante son frère, de retour de permission, qui laisse une veuve et trois enfants que Maman accueillera aussi souvent que possible,

- et puis quatre lourdes années de deuil de la liberté où elle connut la faim et le froid à Talence, et surtout la peur de ne pouvoir protéger sa fille ;
- vingt ans plus tard la perte de son beau-père qui lui faisait tellement confiance, puis de son frère aîné et de sa sœur, dernières attaches familiales.

A Dix-huit ans, officiellement émancipée,

Le 7 juin 1938

elle tombe amoureuse d’Arcachon et s’installe avec son père en bord de mer, découvre les joies du canot-en-bois et de la pêche,

Grand-père à terre

et conduit une des premières Citroën, une "traction-avant".

La première citroën

Toujours "à la page" sans tomber dans les excès des "femmes libérées", elle se lancera quarante ans plus tard dans la formation routière de ses trois petits-enfants et leur confiera le volant, en conduite accompagnée, pendant des milliers de kilomètres.

Une cascadeuse, passionnée de ski et d’hydraviation à l’époque de l’aventure Latécoère à la base de Biscarrosse... A soixante-quinze ans passés, elle faisait l’admiration de tous en montant régulièrement aux échafaudages de ravalement de façade pendant les travaux de sa résidence.

Jeanne à vingt ans

Le Larousse Ménager de 1926 donné par sa mère, — l’éducateur des filles d’antan — va être son vade-mecum et son compagnon de galère pendant toutes les années où les corvées ménagères prennent le dessus, où elle endosse le rôle de mère, d’épouse, de secrétaire médicale, de maîtresse de maison. Les seules échappées seront des week-ends en Médoc, un été en Corse, ou quelques repas de fête avec les amis de notre père qui attribueront ses enthousiasmes d’un soir à de l’alcoolisme caché (ainsi va la vie de province).

recette envoyée à une expatriée pour les jours de cafard, balbutiements d’un dialogue enfin établi avec une de ses filles ; recette transmise à ses deux autres filles, aux petites-filles, et au petit-fils, saveurs des moments gris ou des moments de réjouissance :

Recette de crèpes maison

crêpes pour les jours avec ou sans pluie, 24 crêpes fifines
- farine : 10 cuillerées (pas trop bombées)
- sucre vanillé : 1 sachet
- oeufs : 3
- lait : 3 verres (verres à moutarde)
- 1 pincée de sel
- huile : 2 cuillerées
- parfum
- Mettre farine + sel + sucre vanillé + 1 oeuf entier + 2 jaunes d’oeuf + huile
- Mélanger
- Ajouter lait et parfum
- Laisser reposer 1 heure
- Ajouter blancs en neige
Si tu n’as pas de batteur pour faire monter les blancs en neige, tu peux mettre les 3 oeufs entiers dans la farine, tu mélanges ta pâte un peu plus longtemps en la remuant avec une fourchette quand elle est un peu liquide.

une walkyrie du XXème siècle,

telle peut-on décrire sa vie pendant les presque vingt ans où son mari se fit une clientèle en ville d’hiver, à laquelle elle ne fut pas étrangère, après avoir quasiment passé ses examens de médecine en même temps que notre père : aussi nos visites chez les médecins se bornaient-elles aux vaccinations ; Maman était la championne de l’identification précoce de nos maladies contagieuses échelonnées. Son livre rouge, c’était "Pathologie infectieuse".

La Walkyrie
aquarelle de M-C.Perroy, pour sa maman

Elle a ouvert cette maison quotidiennement aux pensionnaires de la "France d’Outremer" qui prenaient leur goûter avec nous en rentrant du collège, aux innombrables cousins et cousines...
L’été, c’était un véritable hôtel et la 2CV transportait à la plage Eyrac, toit ouvert, une floppée de gosses qui chantaient au retour à pleine voix dans l’avenue Victor Hugo « La monteras-tu la côte, la côte ? », l’estomac bien calé d’une demi-baguette (chacun) sur laquelle elle avait étalé du chocolat fondu au soleil.

La maison fut un véritable port d’attache pour bien des navigateurs dont elle vécut les aventures par procuration.

28 mai 1951, de Reijkjavik en Islande
l’expédition de Paul-Emile Victor

Fidèle

à son mari, à ses amis, mais aussi à son plombier (à St Ferdinand), au garagiste, au réparateur d’aspirateur (près du port) ou de machine à laver, à son horloger (dans les escaliers montant au parc mauresque), à son bijoutier (près de la place Jean Hameau à La Teste), à son marchand de poisson, aux postières, à l’encadreur (au petit port), au tapissier (près de l’ascenceur), au marchand de santons (à qui elle en commandait un nouveau tous les ans à Noël), au vernisseur de cuivres (à Cestas), ou d’argent (près de Pey Berland), au Marché des Capucins (dont elle revenait toutes les semaines la 2CV pleine de cageots de fruits et légumes pour la famille — au sens large — et les amis), à un producteur hollandais de graines et de bulbes, à un producteur de fraises (sur la route de Sanguinet), d’asperges (au Barp), de cerises, de pêches, de tomates, de pommes (dans le Lot-et-Garonne) etc...
Nous nous sommes bâti au fil des ans une sorte de "saisonnier des conserves", nous les enfants de la ville, imperméables aux interactions entre terre, air, lune et soleil.
La liste est longue du réseau d’artisans, d’agriculteurs et de boutiquiers, de travailleurs avec lesquels elle a bâti des relations d’estime et de respect encore vives. Les cartes de fidélité avant l’heure, elle en avait plein le coeur, ses carnets d’adresses nous les avons gardés.

Lévriers fidèles du blason des Percy

Dessinatrice

par force, pour compenser l’incapacité d’une de ses filles à illustrer ses récitations de 6ème, elle s’inspire de l’album familial de Benjamin Rabier, toujours présente pour suivre de près la scolarité de son petit troupeau, récitant par coeur la liste des départements et de leurs préfectures quand nous lisions les plaques minéralogiques pendant les trajets.

L’hirondelle et les petits oiseaux
dessin JLesca
La Mort et le bûcheron
dessin JLesca
Pour nous redonner le sourire, sa chanson-fétiche bellement manuscrite

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