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Lettre de Syrie à ma mère, juin 1978

D 4 février 2003     H 01:39     A Annie Lesca     C 1 messages


- Mardi 23 mai 1978

Soleil sur le lit depuis 6h du mat, je lézarde, l’homme prépare ses bagages car un de ses collègues nous amènera à Damas récupérer la Land Rover à rapatrier sur Palmyre (après la visite aux autorités). Et ce sera la livraison finale de cet encombrant colis, chargé à Cherbourg il y a...
(... )

10h, direction l’Institut. Hier soir, on avait mangé dans un petit resto dominant la ville, à l’extérieur de Beyrouth, sur la colline dominant la mer : terrasse, brochettes de légumes, chaleur et silence d’une nuit sans bombardements, parfum des fleurs de gardenia portées en collier. Je n’étais qu’à moitié présente aux échanges "mondains" après toutes ces journées et soirées à parler et philosopher avec mon amie et ses filles, de choses qui nous tiennent à cœur, de la vie & du temps qui passe,

et il y met souvent le temps.

Difficile après toutes ces semaines "sincères" de se remettre au papotage archéologique et d’opiner du bonnet avec ces messieurs-dames.

Retour du resto déprimant, affolant, et qui nous ramène à la réalité par les rues désertées, en ruines, calcinées, sans vie apparente, dont l’état de destruction parle de guerre, de mort, de souffrance et de terreurs passées ; la terreur se communique subrepticement aux passagers de la voiture et la conductrice se hâte de changer de quartier.

Des fois on se demande quelle dose d’inconscience il nous faut pour vivre notre standing occidental (bouffe, fringues, appart.) alors que 90% de la planète n’a pas le minimum vital.

- Mardi 6 juin 1978

Suite et fin quinze jours après, mardi matin 7h, sur le chantier de l’hôtel Méridien qui se construit à l’entrée de la ville.

Place topographique et symbolique de la source dans les différents systèmes de gestion de l’eau de la Palmyre romaine
Palmyre  : stucs trouvés près de la source Efqa

Les ouvriers improvisés embauchés pour le chantier sont plus habitués à construire en bricolant qu’à faire du travail délicat de précision : le chef de chantier a un rôle bien ingrat mais ne perd pas le moral et a peu à peu réussi à s’intégrer à l’équipe.

L’homme fait faire la vidange du moteur avant les 500 km qui nous attendent pour rentrer à Beyrouth ; les valises sont sagement entassées à l’arrière, les unes contre les autres, avant de se séparer demain pour quelques mois + provision de fruits pour se désaltérer pendant le parcours.

Les familles d’agriculteurs quittent le village sur leur carriole pour partir travailler au champ derrière les murs de la palmeraie, arroser, bêcher ou cueillir fruits et légumes ; les touristes quittent leur hôtel de Zénobie, le nez en l’air, l’appareil photo en bandoulière, le pas traînant ; dans les deux ruelles du souk les boutiquiers lèvent leur rideau de tôle ondulée et des attroupements commencent à se former.

Imperturbables, les ruines attendent, passives, que le soleil galbe leurs formes, nuance leurs couleurs, que les oiseaux viennent s’y poser ou notre regard s’y attarder, que des archéologues ou des maçons cherchent à en percer les secrets, les fassent parler, les fixent dans plus de vérité que leurs apparences, les redressent, les retournent, les palpent.

Ça grouille de vie, les gros lézards, les sauterelles, les scorpions ou serpents (que je n’ai pas vus), les hérissons, les petits mulots, les chacals ou les chiens, une quantité de bestioles incroyable, des pigeons que les mômes attrapent puis relâchent et regardent s’envoler.

Je t’embrasse, petite mère.

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